Aporophobie : rejet et mépris des pauvres
L’aporophobie est un néologisme formé de la conjonction de deux termes grecs : aporos (sans ressources) et phobos (peur). Cela signifie la haine, la peur, le dégoût ou l’hostilité envers les pauvres, les sans ressources ou les sans défense.
La première personne à utiliser et à diffuser ce concept a été la philosophe et professeure à l’Université de Valence, Adela Cortina, dans les années 1990. Son objectif était de différencier cette attitude d’autres manifestations discriminatoires, telles que la xénophobie ou le racisme.
En ce sens, Cortina défend que les actes de xénophobie, de racisme, de rejet des immigrés ou des réfugiés, sont en réalité des manifestations d’une aversion qui ne se produit pas en raison de leur condition d’étrangers, mais du simple fait d’être pauvre.
En 2017, la Fundación Español Urgente a choisi l’aporophobie comme mot de l’année, afin de mettre en lumière ce phénomène. Aussi, le terme fait déjà partie du Dictionnaire de la langue espagnole et, la même année, le Sénat espagnol a approuvé une motion demandant l’inclusion de l’aporophobie comme circonstance aggravante dans le Code pénal.
Comment s’exprime l’aporophobie ?
Au quotidien, l’aporophobie se manifeste par une double attitude. En premier lieu, dans la tendance à prendre parti pour les mieux placés, dont on peut tirer quelque profit ; et deuxièmement, dans la propension à ignorer les plus vulnérables, qui semblent incapables d’offrir quoi que ce soit en retour.
Le rejet des immigrés n’est pas dû à leur statut d’étrangers, mais au fait qu’ils n’ont rien à offrir. Par exemple, aucune nation n’empêche un cheikh arabe de s’installer dans son pays, pas plus qu’un célèbre footballeur étranger ne se voit refuser la résidence. De plus, les yachts accostent sans problème sur la riche côte de la Méditerranée, tandis que les exilés se noient en essayant de l’atteindre.
Adela Cortina s’est alors demandé ce qui se cache derrière ce double standard d’acceptation et de rejet des immigrants. Sont-ils refoulés parce qu’ils sont étrangers ou parce qu’ils sont pauvres ?
L’auteur répond à cette question en affirmant que « les pauvres sont rejetés, même s’ils sont de leur propre famille ». En d’autres termes, au lieu de susciter l’hospitalité, les pauvres suscitent rejet et hostilité.
Les causes possibles de l’aporophobie
Les causes de l’aporophobie ne sont pas très claires. Cependant, quelques hypothèses ont été proposées.
Cerveau xénophobe
S’appuyant sur les neurosciences, Cortina affirme que le cerveau a une composante xénophobe comme mécanisme de survie. Autrement dit, les personnes ont une tendance biologique à s’entourer de personnes avec lesquelles elles ont plus d’affinités.
Cela signifie que nous avons tendance à nous regrouper avec des personnes qui parlent la même langue que nous, qui ont une physionomie similaire, la même culture, entre autres. Par conséquent, les personnes différentes sont susceptibles de favoriser notre rejet. Le cerveau peut les interpréter comme une menace.
Cependant, cette explication ne justifie pas à elle seule la présence d’aporophobie. Il est important de souligner que l’être humain est un animal rationnel avec une grande composante empathique. Nous sommes capables de prendre soin des autres, quelles que soient les différences.
Manque de réciprocité
Cortina affirme que l’aporophobie est basée sur le principe de réciprocité et d’échange économique. Les personnes doivent avoir une utilité dans le système.
Les personnes sans ressources sont rejetées parce qu’elles n’ont rien à offrir à la société, de ce point de vue. En d’autres termes, les pauvres n’ont pas le nécessaire pour rendre ce qui leur est donné.
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Dissonance cognitive
D’un point de vue psychologique, il a été suggéré que l’aporophobie pourrait être la conséquence d’une dissonance cognitive. Il s’agit d’une perturbation psychologique ressentie lorsqu’il y a deux idées incompatibles ou un comportement incompatible avec notre système de croyances.
Dans le cas de l’aporophobie, un décalage est perçu entre la façon dont quelqu’un se voit ( “je suis une bonne personne” ) et son comportement ( “je n’aide pas ou ne détourne pas le regard quand je croise une personne vulnérable” ). Ce conflit peut nous amener à chercher des justifications pour rationaliser un comportement dissonant, créant des raisons de rejeter les pauvres.
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Idéologies politiques
Du point de vue idéologique, la pensée néolibérale basée sur l’individualisme, la compétitivité et la méritocratie présuppose que le succès ne dépend que de la volonté, de l’effort et du talent, que les circonstances socio-économiques n’ont rien à voir avec cela.
Par conséquent, au lieu de comprendre la pauvreté comme un échec social, nous réagissons en méprisant et en blâmant les pauvres pour leur situation. Ou dans le meilleur des cas, en appliquant une présomption de responsabilité.
Impacts sociaux et personnels
L’aporophobie est un phénomène qui alimente le cercle vicieux de l’exclusion et de la marginalisation. Premièrement, parce qu’elle a un impact négatif sur l’estime de soi des personnes, ce qui se répercute dans la spirale de la dégradation.
Deuxièmement, parce que le rejet entrave la réinsertion sociale et professionnelle. La situation de pauvreté est assumée comme un trait permanent et immuable de l’identité des personnes.
Le discours fondé sur l’aporophobie aboutit à la déshumanisation et à l’objectivation des personnes. Sa version la plus sévère peut provoquer des violences verbales ou physiques, avec moqueries, insultes, humiliations ou agressions physiques.
À leur tour, ces attaques ont de graves répercussions sur la santé mentale des victimes, qui éprouvent souvent un sentiment d’impuissance et de vulnérabilité, de peur, d’anxiété, de dépression ou même d’idées suicidaires.
Comment vaincre l’aporophobie ?
Adela Cortina propose que la meilleure façon de mettre fin à l’aporophobie passe par l’éducation formelle et informelle (écoles, universités, médias, réseaux sociaux). Là, la compassion et l’altruisme doivent être cultivés.
De leur côté, nous devons démanteler cette fausse croyance selon laquelle les pauvres n’ont rien à offrir. Adela Cortina affirme qu’il n’y a pas d’être humain qui ne soit pas capable d’offrir quelque chose de précieux. Si nous ne pouvons pas le voir, c’est parce que nous devons aiguiser davantage notre vue.
La compassion et l’empathie sont annulées lorsque nous croyons que les pauvres sont coupables de leur pauvreté. C’est pourquoi, afin de parvenir à un monde plus compatissant, nous devons remettre en question et repenser notre propre système de croyances.
L’idéologie qui soutient que la pauvreté n’est pas le résultat de conditions structurelles, mais plutôt le résultat de l’indolence, de l’erreur individuelle ou de la culpabilité personnelle, alimente l’idée selon laquelle les pauvres représentent une menace. Ils sont alors ignorés et même persécutés.
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